Synoptique des trois catéchismes Sommaire du catéchisme de Trente Plan détaillé de cette partie

Vers la suite du texte:  Chapitre troisième — Du second article du Symbole

Chapitre deuxième — Premier article du Symbole

JE CROIS EN DIEU LE PÈRE TOUT PUISSANT, CRÉATEUR DU CIEL ET DE LA TERRE.

Voici le sens de ces paroles: je crois fermement et je confesse sans aucune hésitation Dieu le Père, c’est-à-dire la première Personne de la Sainte Trinité, qui par sa vertu toute puissante a créé de rien le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment, et qui, après avoir tout créé, conserve et gouverne toutes choses. Et non seulement je crois en Lui de cœur et je Le confesse de bouche, mais encore je tends à Lui de toute l’ardeur et de toute la force de mon âme, comme au Bien souverain et parfait. Ce premier article n’est pas long ; mais chacun des mots qui le composent cache de grands mystères. Et ces mystères, c’est au Pasteur à les approfondir et à les expliquer avec le plus grand soin, afin que les Fidèles ne viennent, s’il plaît à Dieu, qu’avec crainte et tremblement, contempler la gloire de son infinie Majesté.

§ I. — JE CROIS.

Croire ici n’est pas la même chose que penser, imaginer, avoir une opinion. C’est, selon l’enseignement de nos Saints Livres, un acquiescement très ferme, inébranlable et constant de notre intelligence aux mystères révélés de Dieu. Ainsi, en ce qui nous occupe en ce moment, celui-là croit qui s’est formé sur une vérité quelconque une conviction et une certitude exemptes de tout doute.

Et qu’on n’aille pas s’imaginer que la connaissance qui nous vient de la Foi soit moins certaine, sous le prétexte que nous ne voyons pas les vérités qu’elle nous propose à croire. Si la lumière divine qui nous les fait connaître ne nous en donne pas l’évidence, cependant elle ne nous permet pas d’en douter: [1] Car le même Dieu qui a fait sortir la lumière des ténèbres, a éclairé assez nos cœurs pour que l’Évangile ne fût point voilé pour nous, comme il l’est pour ceux qui périssent.

Il suit de là que celui qui est en possession de cette connaissance céleste de la Foi, est délivré du désir des investigations de pure curiosité. Car lorsque Dieu nous a ordonné de croire, Il ne nous a point proposé de scruter ses jugements, ni d’en examiner les raisons et les motifs, mais Il nous a commandé cette Foi immuable par laquelle notre esprit se repose entièrement dans la connaissance qu’il a de la vérité éternelle. En effet, Dieu seul est véritable, dit l’Apôtre, [2] et tout homme est menteur. Si donc il y a de l’orgueil et de l’insolence à ne point ajouter foi aux affirmations d’un homme sage et prudent, et à exiger qu’il prouve ce qu’il avance par des raisons ou par des témoins, quelle ne sera pas la témérité, ou plutôt la folie de celui qui, entendant la voix de Dieu Lui-même, osera demander lek preuves de la céleste doctrine du salut ? II faut donc faire notre acte de Foi, non seulement sans aucun doute, mais encore sans chercher de démonstration.

Le Pasteur enseignera également que celui qui dit: Je crois, exprimant par cette parole l’assentiment intime de son esprit, qui est l’acte intérieur de la Foi, ne doit point se borner à cet acte de Foi, mais qu’il est tenu de manifester au dehors par une profession ouverte les sentiments qu’il porte dans son cœur, comme aussi de les avouer et de les publier devant tout le monde avec joie et empressement. tous les Fidèles doivent avoir cet esprit qui inspirait le Prophète quand il disait: [3] J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé. Ils doivent imiter les Apôtres qui répondaient aux princes du peuple: [4] Nous ne pouvons pas ne pas dire ce que nous avons vu et entendu, et s’encourager soit par ces admirables paroles de Saint Paul: [5] Je ne rougis point de l’Évangile, car il est la force et la vertu de Dieu pour sauver tous les croyants ; soit par celles-ci qui prouvent particulièrement la vérité que nous établissons: [6] On croit de cœur pour être justifié, mais on confesse de bouche pour être sauvé.

§ II. — EN DIEU.

Ces paroles nous font connaître immédiatement l’excellence et la dignité de la sagesse chrétienne, et par là même tout ce que nous devons à la bonté divine, qui daigne nous élever par les vérités de la Foi, comme par autant de degrés, à la connaissance de l’objet le plus sublime et le plus désirable. Il y a en effet une différence énorme entre la philosophie chrétienne et la sagesse du siècle. Cette dernière, guidée par la seule lumière naturelle, peut bien, il est vrai, s’élever peu à peu, à l’aide des effets et des perceptions des sens ; mais elle ne parvient qu’à force de travaux et de peines à contempler les choses invisibles de Dieu, à Le reconnaître et à Le comprendre comme la cause et l’Auteur de tout ce qui existe. La première, au contraire, augmente tellement la pénétration naturelle de l’esprit, qu’il peut aisément s’élever jusqu’au ciel, et là, grâce à la splendeur divine qui l’éclaire, contempler tout d’abord le foyer éternel de toute lumière, et ensuite les autres choses placées au-dessous de lui. nous éprouvons alors avec une joie parfaite que [7] nous avons été appelés réellement des ténèbres à une admirable lumière, comme dit le prince des Apôtres, et que [8] notre Foi nous cause un ravissement ineffable.

C’est donc avec raison que les Fidèles font d’abord profession de croire en Dieu, dont la Majesté, selon l’expression de Jérémie [9] est incompréhensible, qui habite, dit à son tour l’Apôtre [10], une lumière inaccessible, que personne n’a vu ni ne peut voir ; Dieu enfin que nul homme ne pourrait voir sans mourir, comme II le dit lui-même à Moïse. [11] C’est qu’en effet, pour que notre âme puisse s’élever jusqu’à Dieu qui est infiniment au-dessus de tout, il faut de toute nécessité qu’elle soit entièrement dégagée des sens. Mais cela ne lui est pas possible naturellement en cette vie.

Malgré tout, Dieu ne s’est pas laissé Lui-même sans témoignage, dit l’Apôtre [12], car c’est Lui qui nous fait du bien, qui nous envoie les pluies du ciel et les saisons favorables aux, fruits ; c’est Lui qui nous donne en abondance la nourriture dont nous avons besoin et qui remplit nos cœurs de joie. Voilà pourquoi les philosophes n’ont pu concevoir en Lui rien d’imparfait ; ils ont repoussé bien loin comme indigne de Lui toute idée de corps, de mélange et de composition. Ils ont placé en Lui la plénitude de tous les biens, et ils L’ont regardé comme cette source inépuisable et perpétuelle de bonté et de charité qui répand sur toutes les créatures ce que nous y voyons de beau et de parfait ; ils L’ont appelé le Sage, l’Auteur et l’Ami de la vérité, le Juste, le Bienfaiteur suprême. Ils Lui ont donné plusieurs autres noms qui renferment la souveraine et absolue perfection. Enfin ils ont reconnu en Lui une puissance immense, infinie, qui s’étend à tout et partout.

Mais ces vérités sont bien plus solidement établies, et plus clairement exprimées dans nos saintes Lettres, comme par exemple dans ces passages: [13] Dieu est esprit ; ou bien, [14] soyez parfait comme votre Père céleste est parfait. — tout est à nu [15] et à découvert devant ses yeux. — Profondeur [16] des trésors de la sagesse et de la science de Dieu. — Dieu est Vérité. [17] — Je suis la Voie, [18] la Vérité et la Vie. — Votre droite, Seigneur, [19] est pleine de justice. — Vous ouvrez la main [20] et Vous remplissez de bénédictions tout ce qui respire. — Où irai-je [21] pour me cacher à votre esprit ? Où fuirai-je devant votre face ? Si je monte au ciel, Vous y êtes ; si je descends dans les enfers, je Vous y trouve ; si le matin je prends mes ailes pour voler jusqu’aux extrémités de la mer, c’est votre main qui m’y conduit. Enfin Dieu nous dit Lui-même: est-ce que Je ne remplis pas le ciel et la terre ? [22]

Telles sont les conceptions vraiment grandes et magnifiques que les philosophes eux-mêmes se sont formées de la nature de Dieu par l’observation du monde créé, et qui se trouvent si conformes à l’enseignement de nos Livres saints. Et cependant, pour comprendre combien nous avions besoin, même sur ce point, de la révélation d’en haut, il nous suffira de remarquer que ce qui fait l’excellence de la Foi, ce n’est pas seulement, comme nous l’avons déjà dit, de dévoiler promptement et sans peine aux plus ignorants et aux plus grossiers la science que de longues études seules pourraient faire connaître aux savants ; mais de plus la connaissance qu’elle nous donne de la vérité est bien plus certaine, plus claire et plus exempte d’erreur, que si elle était le résultat des raisonnements humains. Mais c’est surtout dans la notion qu’elle nous fournit de la substance divine que nous touchons du doigt sa supériorité. En effet, la simple contemplation de la nature ne peut pas faire connaître Dieu à tout le monde, tandis que la lumière de la Foi Le révèle toujours d’une manière infaillible à ceux qui croient.

Or, tout ce que la Foi nous enseigne sur Dieu est contenu dans les articles du Symbole. nous y trouvons l’unité dans l’Essence divine et la distinction dans les trois Personnes. nous y voyons de plus que Dieu est notre fin dernière et que c’est de Lui que nous devons attendre un bonheur céleste et éternel, selon la parole de Saint Paul, que [23] Dieu récompense ceux qui Le cherchent. Et bien longtemps avant l’Apôtre, le Prophète Isaïe, pour faire entendre quelle est la grandeur de cette béatitude, et combien l’intelligence humaine est incapable de la connaître par elle-même, avait soin de nous dire: [24] Non, depuis l’origine des siècles, les hommes n’ont point conçu, l’oreille n’a point entendu, aucun œil n’a vu, excepté vous, Seigneur, ce que Vous avez préparé à ceux qui Vous aiment.

D’après ce que nous venons de dire, il faut faire profession d’admettre qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et non plusieurs. nous reconnaissons que Dieu est la bonté souveraine et la perfection même. Or, il est impossible que la perfection absolue convienne à plusieurs. Car celui qui manque de la moindre chose pour arriver jusqu’au souverain et à l’absolu, est par là même imparfait, donc il ne saurait être Dieu. Cette vérité est affirmée en maints endroits dans la sainte Ecriture. Ainsi, il est écrit: [25] Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Dieu. De plus, c’est un précepte du Seigneur: [26] Vous n’aurez point d’autres dieux devant Moi. Souvent Dieu nous fait entendre par le Prophète Isaïe [27] qu’Il est le premier et le dernier, et qu’il n’y a point d’autre Dieu que Lui. Enfin l’Apôtre Saint Paul atteste aussi très nettement [28] qu’il n’y a qu’un Seigneur, une Foi, un Baptême.

L’Ecriture sainte donne parfois le nom de dieux à des êtres créés. n’en soyons pas étonnés. Car lorsqu’elle appelle dieux les Prophètes et les Juges, ce n’est pas dans le sens absurde et impie des païens qui se sont forgé plusieurs divinités, c’est simplement pour exprimer, selon cette façon habituelle de parler, ou quelque qualité éminente, ou bien une fonction sublime à laquelle Dieu les avait élevés. — La Foi chrétienne croit donc et professe qu’il n’y a qu’un seul Dieu, par nature, par substance et par essence. C’est la définition même du Concile de Nicée, qui a voulu confirmer cette vérité dans son Symbole. Puis, s’élevant encore plus haut, cette même Foi chrétienne reconnaît l’unité de Dieu, tout en adorant en même temps la Trinité dans son unité, et l’unité dans sa Trinité. C’est le Mystère dont nous avons maintenant à nous occuper, d’après les termes suivants du Symbole.

§ III. — LE PÈRE

On donne à Dieu le nom de Père pour plusieurs raisons. Il convient donc d’expliquer tout d’abord en quel sens on le Lui attribue plus spécialement ici. Quelques-uns, même de ceux dont la Foi n’avait pas éclairé les ténèbres, avaient compris cependant que Dieu est une substance éternelle, que tout émane de Lui, qu’Il gouverne et conserve, par sa Providence, l’ordre et l’état de tout ce qui existe. Et de là, voyant que les hommes appellent Père celui qui est l’auteur d’une famille, et qui continue de la diriger par ses conseils et par son autorité, ils donnèrent également ce nom de Père à Dieu, qu’ils reconnaissaient comme le Créateur et le Gouverneur de toutes choses.

Les Saintes Ecritures elles-mêmes emploient ce mot lorsque, en parlant de Dieu elles Lui attribuent la Création, la Puissance suprême et cette Providence qui régit si admirablement l’univers. nous y lisons en effet: [29] N’est-ce pas le Seigneur qui est votre Père, qui est votre Maître qui vous a faits et tirés du néant ? Et aussi: [30] N’est-ce pas Lui qui est notre seul Père ? n’est-ce pas Dieu seul qui nous a créés ?

Mais c’est dans les livres du nouveau testament qu’Il est appelé bien plus souvent et d’une manière bien plus spéciale le Père des Chrétiens, puisqu’ils n’ont pas reçu l’esprit de servitude qui fait vivre dans la crainte, mais l’esprit d’adoption des enfants de Dieu, par lequel nous crions: Père ! Père ! [31] — Car le Père nous a témoigné tant d’amour que nous sommes appelés, et que nous sommes réellement les enfants de Dieu. [32] — Que si nous sommes enfants, nous sommes héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus Christ [33], — qui est le premier-né de plusieurs frères [34] — et qui ne rougit pas de nous appeler ses frères. [35]

Ainsi, soit que l’on considère Dieu d’une manière générale par rapport à la création et à la Providence, soit qu’on s’arrête spécialement à l’adoption spirituelle (qu’il a faite) des Chrétiens, c’est à bon droit que les Fidèles font profession de Le reconnaître pour leur Père.

Mais outre ces explications que nous venons de donner, le Pasteur ne manquera pas d’avertir les Fidèles qu’en entendant prononcer ce nom de Père, ils doivent élever leurs âmes vers des mystères plus sublimes encore. En effet tout ce qu’il y a de plus caché et de plus impénétrable dans cette lumière inaccessible [36] que Dieu habite, ce que la raison et l’intelligence humaine ne pouvaient ni atteindre, ni même soupçonner, les oracles divins commencent à nous le faire entrevoir par ce nom de Père.

Ce nom nous indique qu’il faut admettre dans l’Essence divine, non une seule Personne, mais plusieurs réellement distinctes. Il y a en effet trois Personnes dans une seule et même Divinité: celle du Père qui n’est engendré d’aucune autre ; celle du Fils qui est engendré du Père avant tous les siècles ; celle du Saint Esprit qui procède du Père et du Fils, de toute éternité. Le Père est dans l’unité de la nature divine la première Personne, et avec son Fils unique et le Saint Esprit il forme un seul Dieu, un seul Seigneur [37] non point une seule Personne, mais une seule nature en trois Personnes. Et il n’est pas permis de penser qu’il y ait entre ces Personnes la moindre différence, la moindre inégalité: toute la distinction que l’on peut concevoir entre elles vient de leurs propriétés respectives. Le Père n’est point engendré ; le Fils est engendré du Père ; le Saint Esprit procède de l’un et de l’autre. Ainsi nous reconnaissons une seule et même nature, une seule et même substance pour les trois Personnes, [38] mais de telle sorte que dans notre profession de Foi relative au Dieu véritable et éternel, nous adorons avec toute la piété et tout le respect possibles, la distinction dans les Personnes, l’unité dans la Substance, et l’égalité dans la Trinité.

Voilà pourquoi, lorsque nous disons que le Père est la première Personne, il ne faut pas croire que nous entendons supposer dans la Trinité quelque chose de premier et de dernier, de plus grand et de plus petit. A Dieu ne plaise qu’une pareille impiété entre jamais dans l’esprit des Fidèles, puisque la Religion chrétienne proclame dans les trois Personnes la même éternité, la même gloire et la même majesté. Mais comme le Père est le principe sans principe, nous affirmons avec vérité et sans aucune hésitation qu’Il est la première Personne ; et parce qu’Il n’est distingué des autres Personnes que par la propriété de Père, c’est à Lui seul aussi qu’il appartenait d’engendrer le Fils de toute éternité. Aussi c’est pour nous faire souvenir en même temps que Dieu a toujours été, et qu’Il a toujours été Père que nous joignons ensemble, dans cette profession de Foi, et le nom de Dieu et le nom de Père.

Mais comme il n’y a rien de plus périlleux que de chercher à pénétrer des vérités si hautes et si délicates, ni de plus grave que de se tromper en voulant les exprimer, le Pasteur aura soin d’enseigner aux Fidèles qu’ils doivent retenir scrupuleusement les mots d’Essence et de Personne, consacrés en quelque sorte à l’expression propre de ce Mystère, et ne point oublier que l’unité est dans l’Essence et la distinction dans les Personnes. De plus, il faut éviter sur ce point les recherches subtiles et curieuses, selon cette parole: [39] Celui qui voudra scruter la majesté sera accablé par l’éclat de la gloire. Il doit nous suffire de savoir d’une manière certaine par la Foi que Dieu Lui-même nous a enseigné cette vérité, (car ne pas croire à ses oracles serait une insigne folie et un malheur extrême). Allez, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ à ses Apôtres, [40] enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. — Et l’Apôtre Saint Jean nous dit également: [41] Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit, et ces trois ne font qu’Un.

Que celui donc qui par la grâce de Dieu croit ces vérités, prie avec persévérance et conjure Dieu le Père qui a créé toutes choses de rien, [42] qui dispose tout pour notre bonheur, [43] qui nous a donné le pouvoir de devenir ses enfants, qui a révélé à l’esprit de l’homme le mystère de la Sainte Trinité, oui, qu’il demande sans cesse la grâce d’être admis un jour dans les tabernacles éternels, pour y contempler cette ineffable fécondité du Père qui, en se considérant et en se connaissant Lui-même, engendre un Fils qui Lui est égal et semblable ; pour y contempler aussi ce bien éternel et indissoluble par lequel l’esprit de charité qui est l’Esprit-Saint, amour parfaitement égal du Père et du Fils, procédant de l’un et de l’autre, unit ensemble et toujours Celui qui engendre et Celui qui est engendré ; pour y voir enfin l’unité d’Essence dans la Trinité divine et la parfaite distinction dans les trois Personnes.

§ IV. — TOUT PUISSANT

Les Saintes Ecritures emploient ordinairement différents mots pour exprimer la Puissance infinie de Dieu et sa Majesté souveraine, afin de nous montrer avec quelle religion et quelle piété nous devons honorer ce nom trois fois saint. Mais le Pasteur aura soin d’enseigner avant tout que la perfection qui Lui est le plus fréquemment attribuée est celle de Tout-Puissant. Parlant de Lui-même Dieu dit [44] Je suis le Seigneur Tout-Puissant. Et Jacob envoyant ses fils vers Joseph faisait cette prière: [45] Puisse mon Dieu Tout-Puissant le fléchir à votre égard ! Il est écrit dans l’Apocalypse: [46] Le Seigneur Tout-Puissant qui est, qui était et qui doit venir. Ailleurs: Le grand jour est appelé le jour du Dieu Tout-Puisssant. D’autres fois, plusieurs mots servent à signifier la même chose. Ainsi par exemple: [47] Rien n’est impossible à Dieu.[48] La main de Dieu peut-elle, être impuissante ? [49] Vous pouvez, Seigneur, tout ce que Vous voulez. Et plusieurs autres expressions qui, sous des formes différentes, sont de véritables synonymes du mot Tout-Puissant.

Nous entendons donc par là qu’il n’existe rien, que l’esprit ne peut rien concevoir, que l’imagination ne peut rien se figurer, que Dieu n’ait le pouvoir de réaliser. Car non seulement il peut opérer tous ces prodiges qui tout grands qu’ils sont, ne dépassent pas néanmoins nos conceptions d’une manière absolue, comme de faire tout rentrer dans le néant, ou de créer de rien, en un instant, plusieurs autres mondes ; mais sa Puissance s’étend aussi à une foule d’autres choses beaucoup plus hautes que la raison et l’intelligence de l’homme ne peuvent pas même soupçonner.

Cependant, quoique Tout-Puissant, Dieu ne peut ni mentir, ni tromper, ni être trompé, ni pécher, ni périr, ni ignorer quoi que ce soit. Ces choses ne se rencontrent que chez les êtres dont l’action est imparfaite. Et précisément parce que l’action de Dieu est toujours d’une perfection infinie on dit qu’Il ne peut pas les faire. Réellement une pareille faculté est un effet de la faiblesse, et non d’un pouvoir souverain et illimité, tel qu’Il le possède. Ainsi donc nous croyons que Dieu est Tout-Puissant, mais en ayant grand soin, dans notre pensée, d’écarter loin de Lui tout ce qui ne serait pas en harmonie et en rapport avec la perfection suprême de sa nature.

Mais que le Pasteur montre bien que l’on a eu les plus sages raisons d’omettre dans le Symbole les autres attributs de Dieu, et de ne proposer à notre Foi que celui de sa toute-Puissance. En effet, dès que nous Le reconnaissons comme Tout-Puissant, nous avouons par là même qu’Il a la science de tout et que tout est soumis à son empire et à sa volonté. De plus, si nous croyons fermement qu’Il peut tout faire, nous sommes obligés par une conséquence nécessaire de tenir pour certaines en Lui ces autres perfections sans lesquelles il nous serait impossible de concevoir sa Puissance souveraine.

Enfin rien n’est plus propre à affermir notre Foi et notre espérance que la conviction profondément gravée dans nos âmes que rien n’est impossible à Dieu. Car tout ce qu’on nous proposera ensuite à croire, les choses les plus grandes, les plus incompréhensibles, aussi bien que les plus élevées au-dessus des lois ordinaires de la nature, dès que notre raison aura seulement l’idée de la toute-Puissance divine, elle les admettra facilement et sans hésitation aucune. Et même, plus les oracles divins annonceront des choses prodigieuses, plus nous nous sentirons portés et empressés à les accepter ; que s’il s’agit de biens à espérer, jamais la grandeur de l’objet promis à nos désirs ne rebutera notre confiance. Au contraire, nous verrons s’agrandir nos désirs et nos espérances, en nous rappelant souvent que rien n’est impossible à un Dieu Tout-Puissant.

Et cette Foi doit nous soutenir et nous fortifier, surtout lorsque nous aurons à faire une œuvre difficile (une sorte de miracle), pour le bien et l’utilité du prochain, ou que nous voudrons obtenir de Dieu par la prière quelque grâce spéciale. Notre-Seigneur a voulu nous enseigner lui-même le premier de ces devoirs lorsque reprochant à ses Apôtres, leur incrédulité, Il leur disait: [50] Si vous avez de la Foi comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne Passe d’ici là, et elle y passera, et rien ne vous sera impossible. Et l’Apôtre Saint Jacques nous rappelle ainsi le second: [51] Que celui qui prie le fasse avec Foi et sans hésiter ; car celui qui hésite est semblable au flot de la mer qui est agité et poussé par le vent de tous les côtés. Que cet homme-1& donc ne s’imagine pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur.

D’ailleurs, sous d’autres rapports, cette Foi nous est également très utile et très avantageuse. D’abord elle nous forme admirablement, et en toutes choses, à la modestie et à l’humilité de l’âme, selon cette parole du Prince des Apôtres: [52] Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu. De plus, elle nous apprend à ne pas trembler [53] là où il n’existe aucun sujet d’effroi, et à ne craindre que Dieu seul [54], qui nous tient en son pouvoir, nous et tous nos biens. [55] et notre Sauveur Lui-même n’a-t-il pas dit: [56] Je vous montrerai qui vous devez craindre: craignez celui qui après avoir tué le corps peut vous précipiter dans l’enfer. Enfin cette même Foi nous sert à nous rappeler et à célébrer avec reconnaissance les immenses bienfaits de Dieu envers nous. Car il pourrait croire à la toute-Puissance de Dieu, et en même temps être assez ingrat pour ne pas s’écrier souvent: [57] Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses.

Au surplus, si, dans cet article, nous appelons le Père « tout Puissant », personne ne doit s’imaginer — car ce serait une erreur — que nous lui attribuons ce nom, à Lui-seul, et que nous refusons de le donner également au Fils et au Saint-Esprit. Car de même que nous disons que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, que le Saint-Esprit est Dieu, sans dire pour cela qu’il y a trois Dieux, mais en confessant réellement un seul Dieu ; de même lorsque nous affirmons que le Père est tout Puissant, que le Fils est tout Puissant, que le Saint Esprit est tout Puissant, nous ne reconnaissons pas trois tout puissants, mais un seul. Et nous attribuons cette qualité au Père pour cette raison particulière qu’Il est la source de tout ce qui existe ; comme nous disons du Fils qu’il est la Sagesse, parce qu’Il est le Verbe éternel du Père, et du Saint-Esprit, qu’il possède la bonté, parce qu’Il est l’amour du Père et du Fils. Et cependant ces qualités, et toutes les autres semblables, selon l’enseignement de la Foi catholique, peuvent s’appliquer également aux trois Personnes divines.

§ V. — CREATEUR DU CIEL ET DE LA TERRE.

Ce que nous avons à dire maintenant de la création de toutes choses, nous fera aisément comprendre combien il était nécessaire de donner tout d’abord aux Fidèles la notion d’un Dieu Tout-Puissant. Car il est d’autant plus facile d’admettre une œuvre si prodigieuse que l’on doute moins de la puissance infinie du Créateur. Or Dieu n’a pas formé le monde avec une matière préexistante, Il l’a tiré du néant, sans nécessité ni contrainte, librement et de son plein gré. Le seul motif qui L’a déterminé à l’œuvre de la création, c’est sa bonté, qu’Il voulait répandre sur les êtres qu’Il allait produire. Car Dieu, souverainement heureux en Lui-même et par Lui-même, n’a besoin de rien, ni de personne, comme le proclame David en ces termes: [58] J’ai dit à mon Seigneur, Vous êtes mon Dieu, et Vous n’avez pas besoin de mes biens. Et comme il n’a obéi qu’à sa bonté, quand Il a fait tout ce qu’Il a voulu [59], de même pour former l’univers, Il n’a pris ni modèle ni dessein qui ne fût en Lui. Son intelligence infinie possède en elle-même l’idée exemplaire de toute choses. Et c’est en considérant au dedans de Lui cette idée exemplaire, c’est en la reproduisant pour ainsi dire, que l’Ouvrier par excellence, avec cette Sagesse et cette Puissance suprêmes qui Lui sont propres, a créé dès le commencement l’universalité des choses qui existent. Il a dit, et tout a été fait ; il a ordonné, et tout a été créé [60].

Par ces mots « le ciel et la terre », on entend tout ce que le ciel et la terre renferment. Car non seulement Dieu a formé les cieux dont le Prophète a dit qu’ils sont l’ouvrage de ses doigts [61], mais c’est Lui qui les a ornés de la clarté du soleil, de la lune et de tous les autres astres, pour les faire servir de signes, afin de distinguer les saisons. les jours et les années [62]. C’est Lui aussi qui a donné à tous les globes célestes un cours si constant et si réglé, qu’on ne peut rien voir de plus rapide que leurs perpétuels mouvements, ni de plus régulier que ces mouvements eux-mêmes.

Dieu créa également de purs esprits et des Anges innombrables pour en faire ses serviteurs et ses ministres. Il les orna et les enrichit des dons de sa grâce et de sa puissance. Quand la Sainte Ecriture nous raconte que le démon ne demeura pas dans la vérité [63], Elle nous fait entendre clairement que lui et les autres anges apostats avaient reçu la grâce dès le commencement de leur existence. Saint Augustin l’affirme nettement: [64] Dieu, dit-il, créa les Anges avec une volonté droite, c’est-à-dire avec un chaste amour qui les unissait à Lui, formant à la fois leur nature, et y ajoutant la grâce comme un bienfait. D’où il faut conclure que les Anges saints ne perdirent jamais cette volonté droite, c’est-à-dire l’amour de Dieu. Quant à leur science, voici le témoignage de nos Saints Livres. [65] O mon Seigneur et mon Roi, Vous avez la sagesse d’un Ange de Dieu, et Vous connaissez tout ce qui est sur la terre. Pour exprimer leur puissance, le saint roi David nous dit: [66] Les Anges sont puissants en vertu, et ils exécutent les ordres de Dieu. Aussi l’Ecriture sainte les appelle souvent les vertus, et l’armée du Seigneur.

Mais, bien qu’ils eussent tous reçu ces dons célestes qui faisaient leur gloire, plusieurs cependant, pour avoir abandonné Dieu leur Père et leur Créateur, furent bannis de leurs sublimes demeures, et renfermés dans une prison très obscure, au centre de la terre, où ils subissent la peine éternelle due à leur orgueil. Ce qui a fait dire au prince des Apôtres: [67] Dieu n’a point épargné les anges pécheurs, mais Il les a précipités dans l’enfer et chargés de chaînes, pour y être tourmentés, et pour y attendre le jugement.

Dieu affermit aussi la terre sur sa base, et par sa parole Il lui fixa sa place au milieu du monde. Il éleva les montagnes, Il creusa les vallées, et pour que la violence des eaux ne pût l’inonder, Il posa des bornes à la mer pour l’empêcher de la submerger. Ensuite Il la revêtit et la para de toutes sortes d’arbres, de plantes et de fleurs, Il la peupla d’animaux de toute espèce, comme il avait fait auparavant pour la mer et les airs.

Enfin Il forma le corps de l’homme du limon de la terre et, par un pur effet de sa bonté, Il lui accorda le don de l’immortalité et de l’impassibilité, qui n’était pas essentiellement attaché à sa nature. Quant à l’âme [68], Il la fit à son image et à sa ressemblance, la doua du libre arbitre, et régla si bien tous les mouvements et tous les désirs du cœur, qu’ils devaient toujours être soumis à l’autorité de la raison. A cela Il voulut joindre le don admirable de la justice originelle, et enfin Il lui soumit tous les animaux.

Pour instruire les fidèles de ces vérités, le Pasteur n’aura d’ailleurs qu’à consulter l’histoire sacrée de la Genèse.

Ainsi donc ces mots de création du ciel et de la terre doivent s’entendre de la création de toutes choses. Déjà le Prophète David l’avait dit en ce peu de mots: [69] Les cieux sont à Vous, et la terre Vous appartient. C’est Vous qui avez formé le globe de la terre et tout ce qui le remplit. Mais les Pères du Concile de Nicée l’ont exprimé bien plus brièvement encore en ajoutant au Symbole ces simples mots: visibles et invisibles. Et en effet tout ce que renferme l’ensemble des choses, tout ce que nous reconnaissons comme l’œuvre de Dieu, peut, ou bien tomber sous les sens, et nous l’appelons visible, ou seulement être aperçu par l’intelligence et la raison, et alors nous l’appelons invisible.

§ VI. — PROVIDENCE.

Mais en reconnaissant que Dieu est l’Auteur et le Créateur de toutes choses, n’allons pas croire que son œuvre une fois achevée et terminée par Lui, ait pu subsister sans sa Puissance infinie. De même en effet que pour exister, tout a eu besoin de la souveraine Puissance, de la Sagesse et de la Bonté du Créateur, de même il est nécessaire que l’action de la Providence s’étende constamment sur tout ce qu’Il a créé. Et s’Il ne conservait son œuvre avec cette même force qu’Il a employée pour la former au commencement, elle rentrerait aussitôt dans le néant. L’Ecriture nous le déclare en termes formels, lorsqu’elle dit à Dieu [70] Comment quelque chose pourrait-il subsister, si Vous ne le vouliez ainsi ? Ce que Vous n’avez pas appelé, comment se conserverait-il ?

Et non seulement Dieu, par sa Providence, soutient et gouverne toute la création ; mais c’est Lui qui en réalité communique le mouvement et l’action à tout ce qui se meut et à tout ce qui agit ; et de telle sorte qu’Il prévient, sans l’empêcher, l’influence des causes secondes. C’est une vertu cachée, mais qui s’étend à tout, et comme dit le Sage, [71] qui agit fortement depuis une extrémité jusqu’à l’autre et qui dispose tout avec la douceur convenable. Ce qui a fait dire à l’Apôtre en prêchant aux Athéniens le Dieu qu’ils adoraient sans Le connaître: [72] Il n’est pas éloigné de chacun de nous ; c’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être.

Nous en avons assez dit sur ce premier article. toutefois, il nous reste à ajouter que l’œuvre créatrice est commune aux trois Personnes de la Sainte et indivisible Trinité. Car si, d’après l’enseignement des Apôtres dans leur Symbole, nous savons et proclamons que le Père est Créateur du ciel et de la terre, d’autre part nous lisons du Fils dans les saintes Ecritures: [73] que tout a été fait par Lui ; et du Saint-Esprit: [74] que l’Esprit du Seigneur était porté sur les eaux. Et encore [75] que les cieux ont été affermis par le Verbe de. Dieu, et que toute leur beauté est l’effet du Souffle de sa bouche.


[1] 2 Cor., 4, 6 et 4.

[2] Rom., 3, 4.

[3] Psal. 115, 10.

[4] Act. 4, 20.

[5] Rom., 1, 16.

[6] Rom., 10, 10.

[7] 1 Petr., 2, 9 ;

[8] Petr., 1, 8.

[9] Jér., 32, 19.

[10] 1 Tim., 6, 16.

[11] Exod., 33, 20.

[12] Act., 14, 16.

[13] Joan., 4, 24.

[14] Matth., 5, 48

[15] Hebr., 4, 13.

[16] Rom., 11, 33.

[17] Rom., 3, 4.

[18] Joan., 14, 6.

[19] Psal. 47, 11.

[20] Psal. 144, 16.

[21] Psal. 138, 7, 8, 9.

[22] Jérem., 23, 24.

[23] Hebr., 11, 6.

[24] Isa., 64, 4.

[25] Deut., 6, 4.

[26] Exod., 20, 3. 28.

[27] Isa., 44, 6.

[28] Eph., 4, 5.

[29] Deut., 32, 6.

[30] Mal., 2, 10.

[31] Rom., 8, 15.

[32] Joan., 3, 1.

[33] Rom., 8, 17.

[34] Rom., 8, 29.

[35] Hébr., 2, 11.

[36] 1 Tim., 8, 16.

[37] Symbole Quicumque (Symbole de St-Athanase).

[38] Symb. Quicumque.

[39] Prov., 25, 27.

[40] Matth., 28, 19.

[41] 1 Joann, 6, 7.

[42] Sap., 8, 1.

[43] Joann, l3, 12.

[44] Genes., 17, 1.

[45] Genes., 43, 14.

[46] Apoc., 4, 8.

[47] Apoc., 16, 14.

[48] Luc, 1, 37.

[49] Num., 11, 23.

[50] Matth., 17, 19.

[51] Jac., 1, 6, 7.

[52] Pet., 5, 6.

[53] Psal. 52, 6.

[54] Psal. 32, 8.

[55] Sap., 7, 16.

[56] Luc, 12, 5.

[57] Luc, 1, 49.

[58] Psal. 15, 2,

[59] Psal. 113, 3.

[60] Psal. 148, 5.

[61] Psal. 8, 4.

[62] Genes., 1, 14.

[63] Joan., 8, 44.

[64] Lib. 12, de Civ. Dei, Cap. 9.

[65] 2 Reg., 14, 20.

[66] Psal. 102, 21.

[67] 2. Petr., 2, 4.

[68] Genes., 1, 26.

[69] Psal. 88, 12.

[70] Sap., 11, 26.

[71] Sap., 8, 1.

[72] Act., 17, 27, 28.

[73] Joan., 1, 3.

[74] Genes., 2.

[75] Psal. 32, 5.